L’industrie dominante est le thermalisme, connu depuis la plus haute Antiquité, c’est-à-dire, depuis que les premiers hommes sont parvenus ici et ont vu d’étonnantes vapeurs se dégager au creux du Val de Borne. Primitivement, les eaux des sources chaudes, émergeant des profondeurs de la terre, se mêlaient aux sources froides trouvant leur issue au pied du coteau des bains. Depuis cette découverte et dès que furent observés les bienfaits que cette eau apportait aux animaux, naturellement attirés par leur instinct en ces lieux, puis aux hommes qui les imitèrent, la station thermale était née et son exploitation durera, avec des hauts et des bas, mais pratiquement sans interruption jusqu’à nos jours.
Le thermalisme
Un passé chargé d'histoire
La trace des premiers hommes à Bourbonne peut être située entre 300 000 et 400 000 ans avant Jésus Christ. Les preuves d’occupation de l’époque néolithique sont nombreuses. Le puisard thermal contenait, étrangement, des silex taillés et polis déjà considérés par les Gallo-romains, qui les ont trouvés, comme des objets anciens et précieux dignes d’être remis en offrande aux divinités des eaux. Pendant la période romaine puis gallo-romaine ce sont surtout des pièces de monnaie qui ont été trouvées, et une partie importante est visible au Musée municipal « Musée de France ». Les pièces ont fait l’objet d’une étude remarquable du doctorant britannique Eberhard Sauer, maître de conférences en archéologie classique à l’Université d’Edimbourg et réputé pour ses fouilles près d’Oxford. Il a publié en 2005 une thèse de Doctorat à Leicester : « Monnaie, culture et identité culturelle : monnaies d’Auguste, sources chaudes et les premiers bains romains à Bourbonne-les-Bains ». Puis du Ve au IXe siècle après J.C., les peuplades sacrifiaient des aurochs dont ils jetaient les cornes énormes dans les sources thermales. Pétrifiées par les eaux qui les ont conservées, elles ont été découvertes au XIXe siècle en quantité importante aux abords des installations thermales gallo-romaines : les constructeurs romains les avaient laissées en place reconnaissant ainsi leur caractère d’offrandes sacrées. La datation au Carbone 14 des cornes d’aurochs, mise en parallèle avec la qualité des tombes trouvées lors des travaux de la Place de Verdun en 2004, atteste d’un probable âge d’or de dévotion aux eaux thermales au VIIIe siècle.
Le couple divin : Borvo et Damona
À l’époque de la Gaule indépendante, les divinités des eaux apparaissaient sous la forme d’un couple divin : trait tout à fait particulier de la religion gauloise. Le dieu a pour nom Borvo, sa compagne s’appelle Damona. L’arrivée des Romains et leur goût pour les grandioses installations balnéaires ne modifièrent en rien la vénération des curistes pour ce couple divin intégralement adopté par les nouveaux venus. Nous en avons pour preuve la découverte à Bourbonne de 11 inscriptions votives d’époque gallo-romaine parmi lesquelles 8 sont dédiées aux deux divinités, 2 à Borvo uniquement désigné et 1 à la seule Damona. L’emprise des divinités associées Borvo et Damona sur nos eaux thermales est ici remarquable et constante.
Les constructions balnéaires romaines
Les constructions balnéaires romaines étaient importantes et luxueuses : les quelques vestiges de colonnes, chapiteaux et stèles funéraires groupés dans le parc de l’établissement en témoignent. Au centre des installations se remarquait : le puisard romain, captage principal destiné à alimenter les diverses installations balnéaires (piscines collectives ou individuelles). Il apparaissait sur une vaste place dallée, entourée d’un portique, fermée en demi-cercle dans sa partie Est. Au fond de cette grande cour à l’Ouest, s’élevait un imposant monument composé d’une grande salle séparée en trois espaces par deux rangées de colonnes : c’était le temple dédié à Borvo et Damona au fond duquel se détachaient quatre piliers entourant la cella, lieu sacré. On peut voir deux de ces piliers au parc de l’Hôtel de Ville à l’entrée à gauche en pénétrant par la porterie, mis en place avec le même écartement qu’ils avaient dans le bâtiment gallo-romain. Ce temple donnait accès à des piscines situées au Nord et au Sud du temple. En 1977-1978, lors des travaux de construction de l’actuel établissement, au sud de la place du puisard romain, on a découvert une grande piscine carrée de 11 mètres de côté entourée d’un portique. À l’Est de cette piscine, plusieurs salles ont été dégagées dont une à colonnes rondes couronnées de chapiteaux corinthiens (visibles au musée) qui devait être l’entrée principale des thermes. L’ensemble des constructions gallo-romaines couvrait à peu près la surface occupée aujourd’hui par les thermes, la place des Bains et la place Jerphanion (où se trouve la fontaine chaude) soit environ 100m x 75m. Ce simple descriptif de la station thermale antique montre le soin et l’ampleur qu’on avait donné aux thermes.
Des pièces de monnaie en offrande à Lindesina
Vers la fin de l’année 1874 et le début de 1875, on a découvert dans les boues du puisard romain une grande quantité de pièces de monnaies en or, argent et bronze (environ 4500 pièces), mais les boues extraites ayant été déposées en tas sur la place des bains, il en a été prélevé un nombre équivalent par les passants. Ce dépôt de pièces est dû en grande partie aux offrandes faites par les légionnaires romains ayant participé à la construction des thermes dans la dernière décennie avant Jésus Christ. La proportion des pièces frappées à l’époque de l’empereur Auguste est prépondérante (89%). C’est pendant les guerres de Germanie qu’Auguste ayant eu connaissance des bienfaits des eaux thermales de Bourbonne pour les soins des blessures et fractures fit construire l’établissement thermal de Lindesina entre 12 et 9 avant Jésus Christ. Ces indications nouvelles résultent d’une étude du trésor monétaire du puisard romain faite par Eberhard Sauer qu’il a retenu pour le sujet de sa thèse à l’université d’Oxford (Angleterre) en 1999. Lindesina était très fréquentée dans les premiers siècles de notre ère. L’importante usure du pavé de grès à l’entrée des bains, relevée en 1977, témoigne des milliers de passages des curistes à cette époque lointaine. Mais les beaux jours de la longue paix romaine devaient s’achever. Cédant à la pression des barbares, l’empire romain peu à peu s’effondra.
La domination des seigneurs sur les thermes
Lors des invasions des IIIe et Ve siècles les installations balnéaires furent incendiées et détruites en majeure partie. Pendant les 4 à 5 siècles qui suivirent la pénétration des Francs, la station a végété modestement. On sait peu de choses sur Bourbonne jusqu’à l’an mil. La féodalité depuis le IXe siècle jusqu’à la Révolution, s’est manifestée ici par la domination des seigneurs sur le domaine thermal qu’ils exploitèrent maladroitement jusqu’en 1812 avec des installations assez rudimentaires. Trois sources principales étaient utilisées : le puisard romain alimentait les bains du seigneur ; la fontaine chaude appelée Matrelle ou Masaille, place des bains, servait au service du bain des pauvres, à l’exercice du droit des habitants qui était gratuit et pour la fourniture d’eau chaude en ville ; enfin, la source du bain Patrice (cour de l’hôpital militaire) servait aux soldats. Les gens de qualité pour des raisons de commodité et de confort se baignaient chez leur logeur, dans des baignoires en bois remplies d’eau thermale puisée à la fontaine chaude et transportée dans des tonneaux. Les autres prenaient leur bain en commun dans de grands bassins à ciel ouvert ou simplement recouverts d’une toiture soutenue par des piliers de bois. En 1590, le médecin des eaux, Jean le Bon, constate avec ironie que les curistes se baignent sans distinction de sexe : « Nus comme beaux adamistes » . L’emprise du seigneur de Bourbonne sur les sources et les thermes n’était pourtant pas exclusive.
Le projet de l'hôpital militaire
En 1324, Renard de Choiseul, quelque peu démuni par les croisades auxquelles il avait participé, vend au Roi Charles IV le Bel, par moitié, une partie de sa seigneurie dans laquelle est comprise « la moitié de la revenue des bains et yaue salée de Bourbonne ». Ce partage des revenus entre le seigneur et le Roi dura jusqu’en 1674, date à laquelle Louis XIV cède ses droits au seigneur de l’époque Colbert du Terron devenu ainsi possesseur à part entière de la terre de Bourbonne. Les guerres de Louis XIV furent nombreuses et meurtrières, de plus en plus, les militaires venaient ici soigner leurs blessures (les maréchaux de Villars et de Harcourt y firent leur cure). Sur réquisition, les soldats logeaient chez les habitants qui avaient beaucoup à se plaindre de ces occupants turbulents, querelleurs ou ivrognes et qui ne leur rapportaient rien. La nécessité se faisait sentir de les rassembler dans un hôpital qui leur serait destiné. Tel fut l’objet des lettres patentes du Roi Louis XIV, en 1702, autorisant la fondation à Bourbonne d’un hôpital « destiné principalement à soulager les soldats, dragons et cavaliers de ses troupes dans les temps auxquels les eaux et les bains du dit Bourbonne sont les plus salutaires ». Faute de crédit ce projet n’eut aucune suite dans l’immédiat.
La construction d'un hôpital militaire
Le 1er mai 1717, un épouvantable incendie attisé par un vent violent ravagea, en quelques heures, tout le pays à l’exception d’une quarantaine de maisons adossées au coteau des bains. Fuyant les flammes sans rien pouvoir emporter, les habitants se réfugièrent dans les villages voisins. Il fallut alors reconstruire la ville, la pénurie de logement était grande, les soldats trouvaient difficilement un gîte.
En 1727, le curé Charles prit l’initiative d’ouvrir une maison dans la rue des bains pour héberger les militaires. L’élan était donné, par la suite l’hôpital militaire royal de Bourbonne s’installa progressivement entre le ruisseau de Borne et la rue Amiral Pierre de part et d’autre de la rue Férat. En 1735, il pouvait accueillir les soldats de Louis XV durement éprouvés par les guerres. Depuis lors, cet hôpital doté de ses propres installations thermales ne cessa de s’agrandir jusqu’à la fin du siècle dernier, abondamment rempli de tous les blessés des guerres napoléoniennes et coloniales.
Le renouveau des thermes
Au XVIIIe siècle, on constate un renouveau des stations thermales : toute la belle société, même les philosophes, vont aux eaux. Pour mieux accueillir cette clientèle, de véritables thermes sont nécessaires. En 1783, M. de Mesme d’Avaux, Seigneur de Bourbonne, sur les plans du célèbre architecte Paris, fait édifier un établissement thermal avec des cabines de bains particulières. En mettant fin à la féodalité, la Révolution française remet en cause la possession des seigneurs : certains estiment que les sources thermales, parce qu’elles concourent à la santé publique, devraient être remises à la nation.
Mais c’est seulement en 1812 que Napoléon Ier achète pour le compte de l’État, à Madame de Chartraire, dernier seigneur possesseur du domaine thermal, sous la menace d’expropriation et invoquant l’utilité publique, les bains et sources de Bourbonne. Les motifs de cette acquisition sont de deux ordres. Tout d’abord, il connaissait l’efficacité des eaux de Bourbonne puisque sa mère Letizia Buonaparte en avait éprouvé le plus grand bien quand elle y était venue au moment où il était lui-même à l’école de Brienne. Aussi, l’Empereur a été le premier à soigner les blessures de ses soldats sur le champ de bataille et après les combats, et voulait donc restaurer leur santé en achetant les bains de Bourbonne. Dès l’avènement de Napoléon III, qui visitera Bourbonne en 1865, l’établissement apparaît vétuste, les sources mal captées n’ont plus un débit suffisant. De 1863 à 1874, les ingénieurs des mines Drouot et Rigaud procèdent à de nombreux forages et captages pour obtenir le débit maximum. Puis l’établissement ancien est démoli et remplacé par une imposante construction exécutée de 1880 à 1883.
1ère station thermale du Nord de la Loire
Près d’un siècle plus tard, un établissement entièrement neuf, de conception moderne, construit en 1977-1978 et achevé en 1979, est mis à la disposition des curistes. Depuis, Bourbonne atteint des records de fréquentation (16 000 curistes en 1986): elle est devenue la plus importante des stations thermales de France situées au nord de la Loire. Ce bref rappel historique montre tout l’intérêt que les hommes et les autorités ont porté à nos eaux salutaires depuis que nos ancêtres les plus primitifs les ont découvertes.